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mercredi 31 décembre 2014

Iatrogénèse (part. 2)


* Cause there's this tune I found that makes me think of you somehow and I play it on repeat *


(elle fait tourner son briquet entre ses doigts. son regard fuit en presque larmes vers un recoin derrière ma tête. elle avale une bouchée d’air.)

Je n’ai plus vraiment le choix tu sais. Je ne vois pas très bien comment je pourrais faire autrement. J’ai bien essayé d’anesthésier au Valium, de désinfecter au whisky, de cautériser avec des cigarettes, mais ça aussi, il parait que c’est poison. Alors autant utiliser cette chanson comme un vaccin pour t’expurger de mon groupe sanguin. C’est moins nocif.

(et dans le fond, toujours la même musique qui tourne autour de sa tête. les mêmes croches pendent à ses yeux, qu’elle baisse vers son verre.)

C’est le choc anaphylactique qui a été le vrai problème. Anaphylactique. C’est un peu long comme mot, mais il faut bien ça pour décrire l’enchainement des événements. Ce choc là, c’est quand ton corps réagit trop fort. Tu ne peux pas t’y attendre, ça se passe en une fraction de battement de cils. Tu te crois blindé, résistant, tu te découvres hypersensible, et tous tes signaux s’affolent. Et là, tu vois, ça n’avait l’air de rien, mais toi, tu as été l’allergène de trop.  

Un choc anaphylactique, c'est une réaction allergique exacerbée. Pour se défendre contre un corps étranger, le tien – de corps – a un mécanisme de défense qui finalement te met en danger. Comme quoi, c’est pas toujours si bien foutu tout ça. Ton cœur est sur le point de craquer, alors ton organisme te balance une grosse décharge d’hormones pour contracter tes artères et relancer une machine qui s’est glacée d’effroi, pour que le sang continue au moins à approvisionner tes organes vitaux. Cœur, cerveau, poumons. Selon lui, tu n’as besoin de rien d’autre.

(et puis aussi tes mains.)

Le truc débile, c’est que si cette décharge d’hormones est mal dosée…

(mal dosée, tu es sûre ?
ses yeux se plantent dans ma rétine.)

… ou s’il y en a trop, je ne sais plus.
Disons que si l’afflux de sang vers les organes est trop fort, alors c’est l’effondrement. Le collapsus. C’est ton cœur qui t’envoie te faire foutre parce qu’il ne gère plus la pression, et la pression dégringole. Il se rabat sur lui-même, muscle creux et mou, il ne te sert plus à rien et te laisse gérer les conséquences.

(un sourire bizarre.
il y a de la buée sur les fenêtres.)

Dans ces cas-là, il faut :
- chercher l’hémorragie
- allonger la victime
- la rassurer
- la couvrir

(une rasade de whisky.)

Je trouve ça doux comme réponse à un tel choc.

(mais je ne l’ai pas fait avec toi.)

Non. 
Mais moi, je me suis posée une voie veineuse directement reliée à la tireuse pour faire remonter la pression.
Mais ça,
je t’ai dit déjà.
Il parait que c’est poison.

(press play again.
un sourire, moins bizarre, un vrai je crois.)

Tu sais comment ça marche un vaccin ? Tu prends les agents infectieux contre lesquels tu veux te défendre et tu les multiplies jusqu’à ce qu’ils mutent et perdent leur caractère pathogène, leur dangerosité, jusqu’à ce qu’ils ne te fassent plus rien. Et puis, tu te les injectes pour que tes lymphocytes B mémoire s'habituent à leur présence et impriment bien que si cet agent là revient, il faudra rester calme et repousser l’invasion.

(press play again. nuage de fumée.)

J’ai écouté cette chanson tellement de fois qu’elle finira bien par ne plus rien me faire. Et j’ai pensé tellement de fois à toi que tu finiras bien par me déplaire. J’y travaille, en tout cas, à développer des anticorps contre le tien.

(et si ça ne marche pas ? si tu ne peux pas te débarrasser de moi ?
un rire.)

Quand je n’en pourrai plus de toi, je m’aspergerai de ton parfum et j’y foutrai le feu. C’est comme ça qu’on endigue une épidémie. 

jeudi 4 décembre 2014

Iatrogénèse (part.1)


Je n'avais pas besoin de ça
de cette image dans ma tête, collée derrière mon front
je n'avais pas besoin
surtout
de toutes ses réflexions.
J'étais bien je crois avant de rentrer dans le palais des glaces.
Alors
toutes les nuits
je pulvérise l'image avec un shoot dans les étoiles
des fragments de toi s'éparpillent dans mon plasma
et sur les fils de mon système nerveux central se dessine la voix lactée.
Les ions chlorure d'abord inversent mes couleurs en négatif
des paysages en noir et blanc s'étalent à perte de vue dans mon cerveau
et puis soudain
c'est l'explosion
un court-circuit vers ton regard et je suis
polarisée
c'est ça
hyper
polarisée même
vers ton visage en fissuré qui me fixe au-delà du trou noir.
Les flocons d'imidazopyridine freezent mes canaux sodiques
et je n'ai plus
aucun
potentiel d'action
si ce n'est ce qu'ils appellent une
"extraversion désinhibée dans les contacts sociaux et interpersonnels"
c'est plutôt ironique tu ne trouves pas ?
pour quelqu'un de gelé.

Tout ça pour dire
tout ça
Il parait qu'à force de la pulvériser, la mémoire finit par disparaitre.
Ca me ferait bien rire.
Je suis curieuse de voir si on peut effacer mille ans d'histoire en inhibant des récepteurs GABBA.

vendredi 28 novembre 2014

Je t'ai écrit des chrysanthèmes.



- Bonjour.

Je t'ai acheté des chrysanthèmes.

C'est un peu con, non ?

Ça fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus, très longtemps, et voilà que je débarque avec des chrysanthèmes. Je suis venue... pour te raconter mon histoire. Il parait qu'il faut le dire avec des fleurs, alors voilà. Je suis venue te la raconter avec des fleurs.

Tu connais l'histoire des symboles floraux ?

C'est quelque chose de passionnant. Du temps de la peinture symbolique, une simple fleur pouvait dire des milliards de choses. La passiflore, par exemple : chacune de ses parties raconte une étape de la Passion du Christ.

- (...)

- Tu bailles. Tu t'en fous.

- (...)

- Moi, je ne sais pas bien quelle est la signification des chrysanthèmes, mais depuis toujours, elles m'accompagnent partout, elles me poursuivent. Ça fait trois mois maintenant que je suis partie. Je devais... me cacher, me dissoudre dans l'air. Disparaitre. Je sentais le monde entier se rétrécir autour de moi, j'avais les bords de la planète autour des bras qui m'enserraient, qui m'enserraient. Dans mes narines, dans mes poumons, du monoxyde de carbone et un plafond en guise de ciel. Je suis partie, peu importe où, peu importe comment, la destination est sans importance, ce qui compte, c'est la fuite. Et il fallait fuir, me vider de tout cet air là qui devenait nauséabond, percer des trous dans ma carcasse pour qu'elle s'aplatisse et s’affaisse. Et un trou, j'en ai percé un, un gigantesque : j'ai ouvert grand la bouche pour que ça sorte putain pour que ça sorte une bonne fois pour toute tout ce fiel, toute cette laideur. J'ai ouvert la bouche et j'ai crié, un long cri continu, d'abord petit, un peu comme un filet de bave, et puis de plus en plus grand, de plus en plus fort, et j'ai crié toutes dents dehors, bouche béante, j'ai crié sans m'arrêter et mon cri ressemblait parfois à un rire. Je ne pouvais plus m'arrêter, c'était comme si tout l'acide qui me rongeait l'édifice sans même m'en apercevoir, toute cette rancœur, tout ça, tout cet amas coulait en dehors de moi, comme si on me tirait tous les intestins, et c'est très long les intestins, on n'imagine pas, comme si on déroulait mes tripes, mes alvéoles, mon cerveau, tout sortait comme un long fil, une pelote qui se dépelote, un détricotage, enfin tu vois l'idée.

J'ai essayé de m'arrêter pour garder quelques mailles, un peu de réserve, quelque chose qui me ferait tenir debout, mais il n'y avait rien à faire. Je continuais à vomir mon filet de voix. Ça a duré, ça a duré des mois.

Alors j'ai pris un stylo et j'ai rajouté un "e" accent aigu. J'ai écrit, et ma voix s'est tue. La bille au bout de mes doigts à tout retricoté, mon filet de voix s'est transformé en lignes et puis des phrases sont nées. Je suis restée les yeux collé à mon papier, amarrant mes yeux à l'encre pour ne plus dériver. J'ai écrit, un long cri silencieux. J'ai écrit, et j'écrirai encore, le temps de tout reconstruire. Je n'utiliserai plus ma voix, je cède mes lèvres à mes mains, ma langue à mes ongles, mes cordes vocales à mon stylo.

C'est pour ça que je préfère ne rien te dire et te filer des chrysanthèmes. C'est tout ce que j'ai trouvé pour te faire comprendre d'un seul coup de paupière tout ce que je voulais te dire.

Je suis partie pour rien, et je suis là pour rien. Je suis une femme qui crie sans thème, qui trimbale sa douleur comme on trimbale sa vie.

T'as lu Electre ? Hé ben pareil.

Cette douleur là, je l'ai hurlée et je l'ai transformée en fleurs, en fleurs qui s'étalent là, de lignes en lignes, des fleurs que je dessine par pétale, lettre par lettre.

Je t'offre en silence mon bouquet de voix.
Je t'offre en silence mon testament.




lundi 24 novembre 2014

Lettre ouverte





C’est pas parti comme ça tu sais.

Quand je pense à tout le temps que tu as passé sous ma peau. Il a fallu quoi… des mois, des années avant que tout ce que tu avais mis en moi
disparaisse
ou pour que je me l’approprie remarque, je ne sais plus trop.
Il a fallu beaucoup de cris, allongée, debout, il a fallu beaucoup de silences aussi. Il a fallu tout ça, tous ces mois, toutes ces années, pour recomposer les fragments, pour remettre des verbes au milieu de mes phrases
des articulations
les introductions, ça n’a jamais vraiment été un problème
c’est plutôt dans les développements que je me prends les pieds dans le tapis
mais les conclusions, alors ça…
c’est pour ça qu’il a fallu du temps.

Alors non, c’est pas passé comme ça. Tu te tiens devant moi et il n’y a plus rien. Et c’est la première fois que je m’en rends compte, que je prends conscience de ce vide, qui n’est même pas un vide d’ailleurs, pas même une absence, pas un rien, juste un

J’en étais arrivée au point de croire que je vivrai toujours avec cette douleur.

J’avais peur de ça, tu vois, que quelque chose s’ouvre à nouveau. Que ça reviendrait à chaque fois comme un chuchotement, comme une crampe. Une cicatrice chéloïde qui tire quand on lève un bras. Tu te tiens devant moi et je cherche la boursoufflure de cette cicatrice. Mais elle n’est plus là. Elle n’est nulle part. Il n’y a plus rien à guérir.
Alors pourquoi
pourquoi
pourquoi putain
pourquoi est-ce que le noir dans ma tête, lui, est toujours là ?

dimanche 23 novembre 2014

Travaux en ruines.



Il y a des fissures sur mes murs
de la poussière sous le tapis
des fuites sur les tuyaux
je n’arrive pas à m’en débarrasser.
Et au premier tremblement de terre
ou plutôt
au premier tremblement tout court
tout s’envole.
Le plâtre tombe en poussière sur mes épaules
l’eau goutte au bout du robinet
des nuages de particules s’envolent et envahissent mon oxygène.
Mais tout ça
tout ce spectacle
est absolument
terriblement
beau.
Le plâtre devient flocon de neige
l’eau est un torrent glacé
le nuage m’enveloppe et me protège
et me soustrait aux yeux du monde.
Je contemple le désastre
et je ressens au fond de moi cette masse qui tremble
qui frissonne
qui éclate en une flamme glacée remontant dans mon dos
Je contemple le désastre
et puis soudain tout a un sens
et je souris
je souris à cette débâcle
et je l’embrasse
je m’accroche à elle comme à un corps flottant
Je contemple le désastre
et je l’aime, je l’aime tellement
que je laisse le bâtiment s’écrouler autour de moi
et peut-être bien
qu’il n’en restera
bientôt
plus rien.

vendredi 21 novembre 2014

4.48 Psychosis - Sarah Kane

Une petite citation parce que ça faisait longtemps et qu'il faut bien LOLer parfois.

It wasn't for long, I wasn't there for long. But drinking bitter black coffee I catch that medicinal smell in a cloud of ancient tobacco and something touches me in that still sobbing place and a wound from two years ago opens like a cadaver and a long buried shame roars its foul decaying grief.

A room of expressionless faces staring blankly at my pain, so devoid of meaning there must be evil intent.

Dr This and Dr That and Dr Whatsit who's just passing and thought he'd pop in to take the piss as well. Burning in a hot tunnel of dismay, my humiliation complete as I shake without reason and stumble over words and have nothing to say about my "illness" which anyway amounts only to knowing that there's no point in anything because I'm going to die. And I am deadlocked by that smooth psychiatric voice of reason which tells me there is an objective reality in which my body and mind are one. But I am not here and never have been. Dr This writes it down and Dr That attempts a sympathetic murmur. Watching me, judging me, smelling the crippling failure oozing from my skin, my desperation clawing and all-consuming panic drenching me as I gape in horror at the world and wonder why everyone is smiling and looking at me with secret knowledge of my aching shame.

Shame shame shame.
Drown in your fucking shame.

Inscrutable doctors, sensible docctors, way-out doctors, doctors you'd think were fucking patients if you weren't shown proof otherwise, ask the same questions, put words in my mouth, offer chemical cures for congenital anguish and cover each other's arses until I want to scream for you, the only doctor who ever touched me voluntarily, who looked me in the eye, who laughed at my gallows humour spoken in the voice from the newly-dug grave, who took the piss when I shaved my head, who lied and said it was nice to see me. Who lied. And said it was nice to see me. I trusted you, I loved you, and it's not losing you that hurts me, but your bare-faced fucking falsehoods that masquerade as medical notes.

Your truth, your lies, not mine.

And while I was believeing that you were different and that you maybe even felt the distress that sometimes flickered across your face and threatened to erupt, you were covering your arse too. Like every other mortal cunt.

To my mind that's betrayal. And my mind is the subject of these bewildered fragments.

Nothing can extinguish my anger.

And nothing can restor my faith.

This is not a world in which I wish to live.

vendredi 14 novembre 2014

Haï-court

* un chuchotement *

J'écrivais avant avec des verres brisés
dont l'un d'eux s'est fiché au dedans de ma tête
tu as tout recousu avec le fil de ton sourire
mais le verre, lui, est resté là
et je crois bien
que ton fil s'y coupera.

vendredi 13 juin 2014

La corde en moins.


J’ai que cinq cordes à ma guitare
L’une d’entre elles a pété il y a cinq ans maintenant
C’est bête
J’aurais du la changer mais je n’ai jamais pris le temps
Ou alors, je n’ai pas eu le courage
Parce qu’elle faisait partie du même jeu que les cinq autres
Elles avaient toujours joué ensemble
Je ne me sentais pas de les séparer
Il aurait sans doute fallu tout changer
Repartir à zéro
Peut-être tout réapprendre
Mais il faut de la patience pour assouplir un nouveau jeu
Et je m’étais attachée à elles
On avait fait de belles choses ensemble
Des chansons, des reprises qui font rire
Je les avais grattées, tapées, pincées
Caressées, triturées – je crois même les avoir mordues
Enfin bref
J’avais presque tout passé sur elle
Et voilà - une corde qui lâche.

J’ai d’abord voulu la nouer pour ne plus qu’elle tremble quand je jouais des autres
Mais elle ne s’est pas laissé faire
A la première fausse note, elle m’a sauté en plein visage
A croire que ça ne lui plaisait pas.

J’ai hésité à la couper
Mais je n’ai jamais pu y arriver
Je n’ai pas assez de force pour ça.

J’ai essayé de l’ignorer
Mais c’est la corde la plus grave
Celle qui est la plus proche de moi
Celle qui s’agite devant mes yeux.

Et aujourd’hui
J’ai que cinq cordes à ma guitare
Depuis que l’une d’elles a pété, il y a cinq ans déjà
Et au bout de cette corde, il y a un petit bout de moi
Qui a pété en même temps

Alors j’ai appris à jouer avec une corde en moins
Maladroitement
Et puis après, on s’habitue
A une autre tonalité
A jouer des airs brisés
Ils sont brisés mes airs
Mais au moins je les chante
C’est toujours mieux que le silence.